Zone Dubitative

Rebel Ridge

Connaissez-vous Jeremy Saulnier ? Si ce n’est pas le cas, je vous recommande chaudement de vous plonger dans la filmographie de ce réalisateur talentueux et atypique tant chacun de ses films, en plus d’être bon, se révèle être une expérience totalement différente à chaque fois. Je vous recommande notamment Blue Ruin (2013) et Green Room (2015), les deux films qui l’ont fait percer au cinéma. Et depuis 2015 me direz-vous ? Et bien plus rien dans les salles obscures puisque c’est chez Netflix qu’il faut aller fureter pour retrouver sa trace. En 2018, il réalise pour la plateforme l’incroyable Hold the dark (Aucun homme ni dieu chez nous). Un film aussi hypnotique que cryptique que j’avais énormément apprécié et dont vous pouvez retrouver la critique ici.

Et nous voici en 2024, Saulnier signe son grand retour avec Rebel Ridge, l’un des gros films Netflix de cette fin d’année. "Marketé" comme un gros actionner ou ça bastonne à tout-va, genre qui a le vent en poupe en ce moment, Rebel Ridge n’est-il que ça ? Jeremy Saulnier a-t-il encore réussi à surprendre ou s’est-il laissé aller à suivre la tendance du moment ?

 

Tromperie sur la marchandise

Terry est un ex marine. Alors qu’il se balade à vélo sur une petite route, une voiture de police le renverse volontairement. Après un contrôle houleux, les policiers fouillent les affaires de Terry et y découvrent une somme d’argent importante en billets. Ce dernier leur explique qu’il a vendu des biens personnels afin d’obtenir cet argent et qu’il va s’en servir pour payer la caution de son cousin actuellement en détention. Les policiers décident alors de prétendre que cet argent vient du trafic de drogue afin de le saisir tout en laissant comprendre à l’intéressé que même en portant réclamation, il ne reverra jamais ses billets. Problème : Si Terry ne paie pas la caution de son cousin avant qu’il ne soit transféré dans une autre prison, ce dernier risque de se faire tuer car il a témoigné dans une affaire de meurtre. Bien décidé à ne pas se laisser faire, Terry débarque dans la petite ville de Shelby Springs avec la ferme intention de récupérer ce qui lui appartient. Il va alors se heurter à la police locale et à ses méthodes aussi troubles que douteuses.

Soyons honnête tout de suite, rarement une bande-annonce n’aura été aussi trompeuse que celle de Rebel Ridge. Cette dernière semble vous vendre un film d’action très énervé, ce qui n’est absolument pas le cas. Rebel Ridge n’est absolument pas un film bourrin, inutile d’en espérer un ersatz ou une copie de John Wick. Non, Rebel Ridge est un thriller au rythme lancinant, qui prend le temps de poser son ambiance, de bien exposer les lieux, les personnages, les enjeux et qui se révèle au final assez avare en termes d’action. Est-ce décevant pour autant ? Non absolument pas.

Pourquoi ? Déjà parce que Jeremy Saulnier excelle dans l’art d’instaurer une atmosphère, une ambiance et qu’ici, ça fonctionne à merveille. Le spectateur est immédiatement happé dans l’histoire. Une histoire qui sait savamment ménager ses moments de tension, ses passages contemplatifs et ses scènes d’action. Les mésaventures de Terry se suivent avec plaisir et on a hâte de voir comment tout cela va finir.

Ensuite, il faut saluer le casting du film qui est absolument parfait. Aaron Pierre, acteur encore peu connu, crève ici littéralement l’écran grâce à une présence et un charisme absolument hors du commun. Que ce soit via la justesse et l’intensité de son jeu ou via son regard perçant, l’acteur est la véritable révélation du film. Il est bien aidé par un antagoniste lui aussi au niveau puisque le chef de la police de Shelby Springs est joué par Don Johnson (l’une des stars de la série des années 80 Miami Vice alias 2 Flics à Miami chez nous) qui, sur sa fin de carrière, montre qu’il sait choisir ses projets avec soin. On avait d’ailleurs pu l’apercevoir assez récemment dans l'excellente série Watchmen de HBO. Il livre ici une prestation encore une fois des plus convaincantes.

Et enfin, tout simplement parce que Jeremy Saulnier est bon réalisateur et que Rebel Ridge est impeccablement bien filmé et bénéficie d’un montage ultra-propre et efficace.

Mais du coup, ce thriller teinté d’action, il ressemble à quoi ? Et bien, à rien de déjà sorti puisque encore une fois Jeremy Saulnier a su se démarquer en prenant un parti pris risqué, mais payant qui tient en un mot.

 

Désescalade

La désescalade, c’est un mot que Terry utilise plusieurs fois dans le film et il est important puisqu’il est au cœur même de la philosophie de vie du personnage. C’est aussi à travers ce concept que Rebel Ridge se démarque du lot. Là où dans la totalité des thrillers et des films d’action, la tension monte jusqu’à ce que le héros se décide à défourailler tout le monde, ce ne sera jamais le cas dans Rebel Ridge. À chaque occasion, et ce, dès le début du film, Terry va constamment essayer de désamorcer toutes les situations tendues. On ressent le côté ancien marine, nous sommes face à un homme posé et réfléchi qui ne va pas se mettre à semer des cadavres par paquet de 12. N’allez pas croire pour autant qu’il se laisse marcher sur les pieds puisque les meilleurs passages du film, ceux où la tension est la plus palpable, sont les face-à-face au cours desquels Terry met de gros coups de pression à ses interlocuteurs. L’un des plus réussis étant celui où il fait face au chef de la police. Après avoir fouillé le passé de Terry et avoir découvert que, bien que ex-marine, il n’a jamais été déployé sur le terrain, le chef et ses adjoints commencent à le prendre à la légère. Seule une mention énigmatique que personne ne connaît figure dans son dossier en termes d’expérience : MCMAP. Pendant que le chef de la police lui fait face, l’un de ses subordonnés découvre alors la signification du mystérieux acronyme : marine corp martial art program. Et alors que l’on avait l’impression que le chef de la police avait l’avantage durant sa discussion avec Terry, au moment de cette révélation, le rapport de force s’inverse. On comprend que Terry était un instructeur en arts martiaux chez les marines. À mesure que la scène progresse, son regard, sa posture et son intonation se font de plus en plus menaçants jusqu’au moment où le subordonné du chef de la police sort et lui crie de vite s’éloigner physiquement de Terry. Et c’est en grande partie grâce à ce genre de moment que Rebel Ridge est aussi réussi et prenant. Certains échanges verbaux sont aussi tendus que des confrontations physiques.

Des confrontations physiques qui, bien que plutôt rares, se révèlent d’une sobriété et d’une efficacité redoutable. Et là encore, la désescalade prime. À aucun moment Terry ne va tuer ou mutiler. Il pique l’arme d’un adversaire ? Il la démonte immédiatement ou en retire les munitions. Quelqu’un se montre menaçant ? Il le maîtrise sans effusion de sang. À l’image du film, le style de Terry est sobre, mais efficace et redoutable. Pas de coups de pieds retournés dans les airs ou de combats de 20 minutes. Ici les échanges de coups sont brefs, réalistes et brutaux. Certains seront sans doute déçus par ce parti pris, mais il est pourtant bien vu, étonnant et il fait sens. Terry est une personne de couleur noire, un ex marine sans histoire. Il n’est pas un tueur et il sait très bien qui si un noir se met à défourailler des flics blancs, l’histoire ne se terminera pas bien pour lui. Tout cela renforce encore le côté réfléchi et taciturne du personnage qui, par sa façon d’agir, force les policiers à êtres les bad guys et les prive de la possibilité de retourner la situation contre lui puisqu’à aucun moment, il ne cherche à tuer. Il veut juste récupérer son argent pour sauver son cousin. Un parti pris au final très rafraîchissant et qui renforce le personnage et le propos du film.

 


Jeremy Saulnier ne déçoit jamais
S'il décevra inévitablement ceux qui s’attendaient à deux heures d’action non-stop à la John Wick 4 (que j’adore hein attention, pas touche à Keanu !), Rebel Ridge est incontestablement un nouveau succès pour Saulnier qui prouve définitivement que chacun de ses films sait surprendre même quand il s’attaque à un genre vu et revu. Le personnage de Terry est vraiment réussi et il permet surtout à Aaron Pierre de crever l’écran. Tout le film repose sur ses épaules et à aucun moment, il ne faillit. Une véritable révélation qui devrait lui ouvrir pas mal de portes.
Rebel Ridge, c’est Jeremy Saulnier qui dit “fuck la bande-annonce qui vend de l’action” et qui nous propose un thriller policier bien ficelé qui prend son temps et qui en plus fait également un gros doigts aux règles du genre avec son héros atypique et sa propension à la désescalade. Certes, les moments d’action pure sont au final assez rare, mais quand ils sont là, ils ne déçoivent pas.
Clairement dans le haut du panier de ce que propose Netflix, Rebel Ridge est assurément l’un des films de l’année. Bien filmé, bien monté, surprenant et prenant à contre-pied certaines règles du genre thriller/action, le dernier projet en date de Jeremy Saulnier montre encore une fois à quel point ce réalisateur est à part. On peut critiquer Netflix, mais force est de constater que parfois, la plateforme propose quand même quelques belles pépites qui n’auraient pas forcément pu se faire ou marcher au cinéma. Du très bon Saulnier, comme d’habitude.

 

 

Post publié par Damzé le 25/09/2024 01:44

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