Zone Dubitative

Vampires [saison 1]

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été fasciné par les vampires. Ma phobie du temps qui passe et de la vieillesse n'y est sans doute pas étrangère mais c'est également dû au fait que ces créatures de la nuit ont contribué à faire naître énormément d'œuvres cultes dans lesquelles je me suis plongé pendant d'innombrables heures. Le Dracula de Bram Stoker par exemple a, à lui seul, redéfini entièrement la vision que l'on pouvait avoir du vampire en nous exposant le plus célèbre des suceurs de sang sous un tout nouveau jour. Le vampirisme, souvent présenté comme une simple monstruosité, devenait alors une malédiction. Le vampire devenait un être maudit, cruel certes mais aussi sophistiqué, complexe et romantique. Une évolution qui sera joliment retranscrite visuellement dans le sublime film Dracula de Francis Ford Coppola. On pourrait également citer Les chroniques des vampires d'Ann Rice, une série de romans qui donnera naissance à un autre film culte, l'Entretien avec un vampire de Neil Jordan. Là encore, les créatures de la nuit y sont dépeintes comme bien plus que de simples monstres.

Dans les années 90, alors que le jeu de rôle sur table est la chasse gardée de Donjons & Dragons, un outsider débarque : Vampire La Mascarade. Un jeu de rôle profond dans lequel les joueurs sont invités à incarner des vampires au sein d'un monde contemporain au bord de l’asphyxie. Basé sur l'horreur, la lutte contre la nature même du vampirisme, le jeu de rôle devient vite culte et permet encore une fois de démocratiser et complexifier l'image du vampire moderne. J'ai commencé à y jouer au collège. A plus de 30 ans, j'y joue encore aujourd'hui.

Malheureusement, depuis quelques années, les adaptations concernant les vampires ont baissé en qualité. Que ce soient les films, les romans, les séries, l'effet de mode est passé par là. Sous couvert de continuer à présenter les créatures de la nuit comme des êtres intéressants et complexes, on en a fait des héros (parfois presque super héros) lisses, plats et fades. Du calamiteux et puritain Twilight en passant par le drama pour ados aussi vain qu'inutile que fut Vampire Diaries ou encore par les multiples daubes cinématographiques récentes, l'immonde nanar Dracula Untold en tête, l'image de Dracula et de ses confrères s'est largement écornée. A tel point que, aujourd'hui, dire que l'on s'intéresse aux vampires, c'est prendre le risque de passer pour un adepte de fictions gnangnan sans profondeurs et de romans de gare. Une hérésie quand on connaît le nombre de chefs d'œuvre liés de près ou de loin à ces créatures.

En 2020, les vampires sont moins à la mode mais on ne les oublie pas pour autant. De nouveaux projets voient le jour assez régulièrement. Ainsi quand Netflix a annoncé une série nommée Vampires, la surprise ne fut pas immense. Le fait que ce soit une série française en revanche est quelque chose d'assez inédit tant notre pays semble encrouté et vieillot en termes de créativité quand il faut produire autre chose que des séries comiques ou policières. Alors où se place la série vampirique de Netflix made in France ? Du côté des adaptations réussies et intrigantes ou du côté des daubes sans intérêt ni profondeur ?

 

"J’ai prié le glaive rapide de conquérir ma liberté..."

Les vampires existent. Ils sont parmi nous, vivant cachés, organisés en sociétés secrètes. A Paris, la famille Radescu vit cependant à part, isolée du monde certes mais aussi des autres vampires. Martha, la matriarche, veille sur ses enfants. Irina et Rad sont comme elle, des vampires. Doïna et Andrea en revanche sont humains. Les étranges médicaments que leur donne Martha semblent les préserver de l'affliction qui ronge le reste de la famille. Ainsi Andrea et Doïna mènent une vie presque normale. Cependant tout va basculer quand Doïna, vivant une période difficile au lycée, va décider de ne plus prendre ses médicaments afin de ne plus en subir les effets secondaires. Sans conséquences au début, le choix de la jeune fille va vite s'avérer dramatique quand elle va commencer à ressentir certaines pulsions. Tiraillée entre son envie d'avoir une vie normale et celle de découvrir le tout nouveau monde qui s'offre à elle, Doïna va se retrouver prise au piège entre de vieilles rivalités et des luttes de pouvoir au sein de la société vampirique.

Comme son héroïne, la série est coincée entre deux mondes, deux tendances. Commençons par aborder ce qui est séduisant dans Vampires.
Déjà, on appréciera la gestion du vampirisme en général et plus particulièrement pour Doïna chez qui la transformation peut s'apparenter à un passage de l'adolescence vers l'âge adulte. Ses pulsions concernant le sang se confondent avec son éveil aux désirs sensuels et à la sexualité. On peut d'ailleurs saluer le concept du "you are what you eat" utilisé en partie ici. Très mis en avant dans la dernière version en date du jeu de rôle sur table Vampire La Mascarade, on parle ici du fait que le plaisir procuré par l’absorption de sang soit très dépendant de la provenance du précieux liquide rouge. Souvent dans Vampires, les morsures ont un côté sensuel, mélange entre orgasme et prise de substance. Parfois elles sont bestiales, animales. Dans tous les cas, le fait de se nourrir provoque une sorte de transe, tantôt belle et enivrante, tantôt crade et effrayante. On retrouve bien ici la dualité du vampire, coincé entre son humanité et le monstre enfoui, toujours là quelque part et prêt à refaire surface.

On peut aussi voir dans la transformation de Doïna une quête d'identité. Jeune fille en manque de repères, elle doit faire face à un questionnement permanent. Est-elle plus humaine ? Ou est-elle plus vampire ? Doit-elle accepter cette nouvelle communauté qui la réclame soudainement au nom d’anciennes règles archaïques ? Au sein d'une famille composée de vampires et d'humains qui se fracture, Doïna doit naviguer à vue car rien n'est simple. Martha, sa mère, a raison de vouloir la protéger mais à trop la mettre à l'écart, elle la prive d'attaches au monde des hommes comme à celui des vampires, l’empêchant ainsi d’évoluer. Csilla Nemeth, haut placée dans la société vampirique qui exige que Doïna soit formée au sein des siens afin qu'elle puisse maîtriser ses pulsions a-t-elle vraiment tord ? A l'image de son fils Ladislas Nemeth, tout n'est pas tout blanc ou tout noir, personne n'est vraiment qui il semble être et cela permet à la série de ne jamais tomber dans un manichéisme bien trop souvent présent dans les productions abordant des sujets similaires.

On pourrait reprocher à Vampires d'être parfois timide lorsqu'elle doit montrer les créatures de la nuit, leur univers et leurs capacités mais il faut bien comprendre qu'ici le but n'est pas de faire dans le sensationnel. Pas de décapitation, pas de super vitesse, pas de scènes de combat surnaturelles, Vampires fait le choix d'une approche réaliste, jusque dans la cause/naissance du vampirisme. Pour autant, cela n'empêche pas la série de proposer plusieurs passages très mémorables visuellement avec en tête de liste la scène du bal où l'on se retrouve immergé dans une fête de la société vampirique. Que ce soient les décors, les vêtements, la gestuelle, les jeux de lumière, tout donne à cette scène un côté sensuel, hypnotique, suffoquant, excitant. La tension sexuelle en deviendrait parfois presque palpable sans pour autant faire dans la surenchère. Au mélange gore + cul, Vampires oppose un style travaillé infiniment plus classe et jamais racoleur. On pourrait également parler de la scène des trains, sorte d'enfer crade où les vampires semblent n'être que des junkies déviants et qui est elle aussi extrêmement marquante. Pour tout habitué de Vampire La Mascarade et lecteur des Chroniques des vampires, il y a fort à parier que la série fera mouche dans ces moments là.

 

"Et j’ai dit au poison perfide de secourir ma lâcheté..."

Comme évoqué plus haut, la série est à l'image d'un vampire, coincée entre deux mondes. Dans ses moments de grâce, elle peut être captivante, enivrante. Dans ses pires passages, elle peut devenir vraiment médiocre car si tout ce qui est lié aux vampires est globalement bien géré, ce n'est clairement pas le cas quand on s'attaque au reste. Un défaut dû en partie à des faiblesses scénaristiques flagrantes couplées à certaines performances d'acteurs vraiment calamiteuses. Il faut dire qu'en seulement six épisodes d'une quarantaine de minutes, cette saison 1 n'a pas forcément le temps de développer toutes ses intrigues et ses personnages correctement. Ce qui se passe au lycée par exemple, entre Doïna et ses amis, son amourette etc., est vraiment loupé. Son ami, censé être drôle, est lourdingue. Nacer, dont elle semble être amoureuse paraît bien fade, banal et cliché. A côté des performances remarquables de Suzanne Clément en Martha Radescu ou de Aliocha Schneider en Ladislas Nemeth, les prestations des acteurs liés à la partie "vie humaine" de Doïna sont vraiment un gros cran en dessous. En conséquence, on a tendance à maudire les scènes se passant ou étant liées au lycée et à attendre avec impatience un retour aux affaires vampiriques ou aux problèmes de la famille Radescu.

A cause de cela, la série laisse une impression un peu brouillonne. Capable du meilleur comme du pire, on ne sait jamais à quoi s'attendre et c'est bien dommage car le potentiel est bien là. On peut aussi se poser des questions concernant le budget. Si la série se veut plutôt sobre et réaliste concernant les capacités des vampires, on ne peut s'empêcher de penser que ça semble parfois lié à des moyens financiers assez restreints. On aurait aimé deux épisodes en plus pour fluidifier certaines choses et éviter certains raccourcis grossiers et peu crédibles en termes d'écriture.

 


"...Hélas ! le poison et le glaive m’ont pris en dédain et m’ont dit : « Tu n’es pas digne qu’on t’enlève à ton esclavage maudit»"
Un beau gâchis, au sens propre et non figuré, voilà sûrement comment qualifier le mieux cette saison 1 de Vampires. Dans ses moments de grâce, la série est captivante, hypnotique, originale et parfois audacieuse... mais elle peut aussi flancher et proposer par moment des scènes d'une médiocrité surprenante. Pour faire simple, tout est inégal dans Vampires, du scénario au jeu des acteurs en passant par la réalisation et c'est vraiment dommage car la série arrive à prouver que, quand les pièces du puzzle s'emboîtent bien, elle a vraiment compris comment aborder le sujet du vampirisme de manière très intéressante, et ce aussi bien visuellement que scénaristiquement. A l'image du vampire, doté de capacités surhumaines, séduisant mais affublé de multiples maux comme la soif de sang et les brûlures du soleil, les bons points de la série sont constamment contrebalancés par de gros défauts. Alors est-ce que tout ça mérite un visionnage ? Si vous êtes attiré par les vampires et par une représentation de ces derniers plus proche de Vampire La Mascarade et d’Entretien avec un vampire que de Twilight, alors je vous dirais oui. Il faudra juste garder à l'esprit que si Vampires peut parfois frôler l'excellence, elle peut également sombrer dans la médiocrité, comme maudite et constamment déchirée entre deux voies à l'image de ses protagonistes.

 

 

Post publié par Damzé le 09/06/2020 04:16

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