Zone Dubitative

The Green Knight

Les légendes arthuriennes… écrites depuis des siècles, elles restent encore aujourd’hui des œuvres fascinantes. Que ce soient les manigances de Merlin, le règne d’Arthur, les péripéties de Lancelot et autres Yvain, ce grand cycle regorge de textes captivants où se mêlent aventures, magie, amour, trahisons, etc. Il y a quelques semaines, pour la sortie de Kaamelott - 1er Volet (critique à lire ici), j’abordais dans mon introduction les différentes adaptations cinématographiques consacrées à cette grande fresque et j’en arrivais à la conclusion que seul le film Excalibur de John Boorman de 1981 était à la hauteur du mythe.

40 ans plus tard, en 2021, The Green Knight sort au cinéma. Réalisé et écrit par David Lowery, le film est une adaptation du roman Sire Gauvain et le chevalier vert, l’une des plus célèbres histoires du cycle arthurien. Après plusieurs décennies d’attente, est-ce qu’un nouveau réalisateur a enfin compris comment adapter une partie de ces légendes sur grand écran ? The Green Knight est-il une adaptation réussie ? Suit-il au pied de la lettre les textes originaux ou s’en écarte-t-il ? Il est temps de le découvrir.

 

Donner vie au mythe…

Gauvain mène une vie dissolue. Jeune homme aspirant à devenir un grand chevalier, il passe pourtant souvent ses nuits au bordel et rentre à l’aube en empestant le mauvais vin. A la cour d’Arthur, le plus grand des rois dont il est le neveu, il n’est qu’un inconnu au milieu de légendes vivantes. Un soir de Noël, alors qu’Arthur a réuni tous ses chevaliers et qu’il demande à Gauvain de lui conter l’une de ses aventures pour mieux le connaître, ce dernier ne trouve rien à lui répondre. C’est à ce moment-là qu’un inconnu fait irruption. Un gigantesque chevalier vert, inhumain, pénètre dans la pièce et toise le roi et sa cour. Que celui qui a le courage de lui porter un coup s’avance. Mais attention car un an plus tard exactement, le chevalier vert annonce que celui lui ayant porté le coup devra venir le trouver afin d’en recevoir un à son tour, identique à celui qu’il aura donné ce soir. Cherchant la renommée et la reconnaissance de son roi et de ses pairs, le jeune Gauvain relève le défi et décapite son adversaire. A la stupeur générale, ce dernier ramasse alors sa tête puis s’en va. Un an plus tard, il est temps pour Gauvain de faire face à son destin.

Sublime. C’est la première chose qui vient à l’esprit quand on veut qualifier The Green Knight (TGK). Que ce soit via sa réalisation grandiose, sa bande-son magistrale ou encore son ambiance absolument captivante, de son premier à son dernier plan, le film, somptueux, dégage quelque chose d’unique. Les décors en extérieur sont magnifiques, les passages oniriques sont d’une beauté sans nom et les acteurs livrent une prestation sans faille, notamment Dev Patel qui joue Gauvain et sur qui presque l’entièreté du film repose.

Pourquoi TGK est une excellente adaptation de Sire Gauvain et le chevalier vert ? Tout simplement parce que le film embrasse pleinement le côté fantastique des légendes arthuriennes. Il y a de la magie, des choses inexpliquées, du mystère. David Lowery a très bien compris comment donner vie à cet univers ou en tout cas à une fraction de celui-ci. On retiendra tout particulièrement l’arrivée du chevalier vert devant Arthur et sa table ronde comme l’un des moments les plus forts de TGK. Une scène avec un côté presque théâtral dans l’interprétation, dans tous les bons sens du terme, ce qui lui donne un style incomparable. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres tant le film reste ponctué de moments extrêmement marquants visuellement.

Les éléments surnaturels s’empilent, ne sont pas expliqués et pourtant ils ne détonnent pas. David Lowery nous propose quelque chose de très immersif et sensoriel, bien éloigné des textes mais au final idéal pour ressentir tout le côté “conte” des légendes arthuriennes sur un écran. N’ayant jamais peur de pousser le curseur trop loin dans le fantastique ou l’onirique, le réalisateur arrive à nous faire retrouver l’étincelle d’émerveillement présente lorsqu’enfants, nous découvrions pour la premières fois les textes traitants des aventures d’Arthur et de ses chevaliers.

En résulte un film visuellement très impactant qui sait varier ses ambiances et dérouler sa narration de façon admirable. Une narration lente, qui prend son temps mais qui ne devient jamais ennuyeuse ou pompeuse, à l’image de la réalisation, alors que c’était l'une des grandes craintes de certains. Non TGK n’est pas un film de poseur prétentieux. Il donne vie à l’univers arthurien et saupoudre sur ce dernier une couche de noirceur du plus bel effet. Car s’il donne admirablement bien corps aux aspects fantastiques et légendaires de l’histoire de Gauvain, s’il nous offre une si belle représentation du mythe, le film le détruit aussi presque intégralement.

 

… pour mieux le briser

Donner vie au mythe pour mieux le briser ? « Quelle hérésie est-ce là ? » serait-on tenté de se dire. Il n’en est rien, c’est au contraire à ce niveau que se situe le coup de génie du film. En opposition avec tout ce que les légendes arthuriennes ont de fantastiques, TGK nous offre des protagonistes tout ce qu’il y a de plus humains, à l’image de son Arthur vieillissant, fatigué et au teint blême. Mais le meilleur exemple reste Gauvain, personnage sur lequel repose tout le film. Dans les nombreux textes qui parlent de lui, Gauvain est considéré par beaucoup comme le chevalier parfait. Il est courageux et courtois, un véritable modèle de vertu. On dit même que sa force grandit avec le soleil et que lorsque ce dernier est à son zénith, le chevalier est imbattable. Dans le film ? Rien de tout ça. Gauvain n’est pas encore un vrai chevalier, il n’est qu’un jeune homme hésitant qui court après la renommée sans même savoir ce que c’est exactement ou s'il la désire vraiment. Et lorsqu’il entreprend sa quête pour retrouver le chevalier vert, sa première vraie aventure, celle censée lui apporter enfin la gloire qu’il mérite, on s’attend à le voir prendre part à un voyage incroyable où il devra braver moult épreuves avec courage et bravoure. Il n’en est rien.

Dans TGK, Gauvain est tout sauf le chevalier parfait des romans. Il n’est qu’un homme lambda comme vous et moi. Il a peur, il hésite souvent et il se trompe, beaucoup. Rapidement, l'aventure que l’on attendait comme grandiose prend un tout autre tournant et on se retrouve à suivre un protagoniste totalement perdu, qui tente de braver les éléments qui se dressent contre lui sans jamais vraiment en avoir le courage ou la force. Une véritable déconstruction du mythe que le spectateur subit autant que Gauvain. Et c’est là toute la force du film, rendre les personnages faillibles et réalistes au sein de cet univers de héros et de légendes. Certains penseront à Kaamelott en lisant cela, on peut y voir un parallèle intéressant entre les deux œuvres... Mais la comparaison s’arrête là tant le propos et la forme diffèrent entre les visions de Lowery et d’Astier. Lowery embrasse totalement le côté mythique et surnaturel des légendes arthuriennes pour y jeter en pâture ses protagonistes. Et malgré ses failles, malgré sa quête au final tout sauf chevaleresque, Gauvain ressortira quand même transformé de tout ça. Qu’est-ce que la bravoure, le courage ? Plutôt que d'être des choses inaccessibles au commun des mortels, peut-être qu’il s’agit juste d’essayer de faire face à son destin et de traverser les épreuves comme on le peut, avec nos forces et surtout nos faiblesses. Et si au lieu de constamment craindre et tenter de fuir ce qui nous fait face, il fallait tout simplement l’accepter ? A l’image de Gauvain, subissant sa quête jusqu’au moment où il accepte que sa propre mort est possible au lieu de la craindre sans cesse et d’en être paralysé. Une mort qui reste d’ailleurs omniprésente dans le film, du début à la fin, de la décapitation du chevalier vert à la confrontation finale de Gauvain.

 


Grandeur et décadence
Donner vie au mythe pour mieux le détruire. La pari de David Lowery était très risqué. Finalement, le réalisateur, qui a aussi écrit le film, s’en sort haut la main. Avec sa réalisation incroyable, sa beauté et son style incomparable, The Green Knight nous offre l’une des meilleures représentations jamais faites de l’univers arthurien. Une représentation aussi majestueuse que décadente où plane une ambiance parfois crépusculaire, à l’image de son roi Arthur vieillissant sur qui la mort resserre lentement son étreinte. Et au milieu de tout ça, Gauvain, magistralement interprété par Dev Patel, qui se retrouve lancé dans une quête personnelle. Une quête censée lui apporter tout ce qui lui manque et qui pourtant ne fera que le ballotter et le briser jusqu’à la confrontation finale qui lui fournira le déclic dont il avait besoin et qui donnera lieu à une fin de film absolument parfaite, venant refermer idéalement cette relecture de l’histoire de Sire Gauvain et le chevalier vert.

La grande force de The Green Knight, c’est de faire s’entrechoquer deux mondes. Le fantastique des légendes et le réalisme de l’humain. Il en résulte une version captivante et viscérale de l’histoire de Gauvain. Un enchaînement de plans sublimes et marquants, soutenus par des musiques presque hypnotiques tant elles restent dans nos oreilles même après le générique. Assurément un très grand moment de cinéma et une pièce de choix pour les passionnés des légendes arthuriennes qui pourront s’amuser à repérer les très nombreuses références disséminées ci et là. Avec son rythme lent, son parti pris anti climatique et son côté cryptique, The Green Knight laissera forcément certains spectateurs sur le bas-côté. Pour les autres, à l’image de Gauvain, ils seront entraînés dans une quête, aussi belle et captivante qu’éprouvante, qu’une fin des plus réussies viendra clôturer d’une main de maître. The Green Knight n’est pas seulement une excellente adaptation de l’une des légendes arthuriennes les plus connues, c’est également un excellent film.

 

 

Post publié par Damzé le 07/11/2021 05:44

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