Zone Dubitative

The Batman

Comment réinventer Batman ? Une tâche bien difficile étant donné que le personnage a déjà eu droit à de très nombreuses adaptations au cinéma. Classieux et gothique chez Burton. Plus léger et fun jusqu'à la sortie de route chez Schumacher. Réaliste à outrance chez Nolan. Sombre et torturé chez Snyder. Chacun des réalisateurs a laissé son empreinte dans l'imaginaire des fans. Comment réinventer Batman ? A cette épineuse question, Matt Reeves pense avoir la réponse : un Batman jeune, presque débutant, dans un film de 3h lorgnant vers le thriller et fait pour mettre en avant le côté détective du héros. Un pari aussi alléchant que risqué pour l'homme qui a réalisé entre autres les excellents Cloverfield, Let me in ou encore La planète des singes : l'affrontement et La planète des singes : suprématie.

Mais il n'y a pas que les réalisateurs qui sont voués à marquer l'imaginaire du public, il y a aussi les acteurs. Keaton, Kilmer, Clooney, Bale, Affleck... tous ont enfilé tantôt le costard luxueux de Bruce Wayne, tantôt le costume de Batman. Tous ont su marquer les esprits et tous ont été très critiqués à l'annonce de leur casting. Ce sera le cas encore ici avec The Batman qui permet à Robert Pattinson de rentrer dans le cercle très fermé des acteurs ayant campé le chevalier noir de Gotham. Et à ce propos, zappons tout de suite la critique aussi clichée qu'idiote qui consiste à résumer la carrière de Pattinson à Twilight tant ce dernier a su prouver son talent dans différents films tels que Good Times, The Rover, The Lost City of Z, Cosmopolis ou encore The Lighthouse. Un réalisateur talentueux, un acteur qui l'est tout autant, un projet alléchant sur le papier, tous les ingrédients semblaient réunis pour un beau succès. Qu'en est-il à l'arrivée ? Faites chauffer la Batmobile, lustrez vos batarangs et guettez le ciel, voici ma Batcritique !

 

Dans les ténèbres de Gotham

Cela fait environ deux ans que plane sur les nuits de Gotham l'ombre du Batman. Véritable croque mitaine pour les criminels, individu dérangé pour la police, le justicier fait régner la peur. Un soir, un crime inhabituel a lieu. Le corps de la victime est mis en scène d’une manière aussi étrange que malsaine et un message est laissé avec comme mention "A l'attention du Batman". Derrière cet horrible meurtre se cache un serial killer se faisant appeler le Riddler et il semble bien décidé à ne pas s'arrêter là. Quel est le but du Riddler et de ses messages énigmatiques ? Bruce Wayne, rongé par sa quête de justice, va devoir plonger encore plus profondément dans les entrailles de Gotham pour le découvrir. Quitte à s'y perdre définitivement ?

Alors ? Vers quoi penche le Batman de Matt Reeves au final ? Le réalisme de Nolan ou l'aspect comic book ultra poussé de Snyder ? Un peu des deux. Ayant choisi un univers séparé du DCEU, Reeves n'a pas à s'embarrasser avec une quelconque gestion de super pouvoirs. Pas de Superman ou de Wonder Woman à l'horizon, ce qui permet au film de se centrer sur un héros aux capacités plus humaines ou réalistes. En combat, si le Batman de Pattinson est très efficace, il reste beaucoup moins impressionnant que le Batffleck de Snyder par exemple. Pour autant, Reeves ne sacrifie pas tout l'aspect comic book comme l'avait fait Nolan. Dans la trilogie du réalisateur d'Insterstellar, Batman était ultra réaliste, trop pour certains et il en découlait des défauts assez gênants comme une Gotham manquant cruellement d'âme car elle ressemblait à n'importe quelle grosse ville des USA. Dans The Batman (TB), Gotham est crasseuse, sombre, il y pleut souvent. Nous ne sommes pas sur le créneau de la beauté sombre et gothique d'un Burton mais sur une atmosphère plus noire, désespérée et presque palpable, comme si sa corruption influençait jusqu'à l'aspect même de la ville. Un choix judicieux qui permet de faire un vrai film centré sur Batman (contrairement aux films de Burton qui avaient tendance à plus mettre en avant les bad guys), très inspiré par certains comics tout en y injectant une couche de réalisme qui évite de gâcher la fête en en faisant trop. Et ce style, cette vision, Reeves va l'appliquer à tout son film.

Dans TB, Batman utilise la peur comme une arme. Nolan s'y était essayé, Snyder avait filmé l'introduction de son Batman à la manière d'un film d'horreur. Ici, Reeves rend le chevalier noir effrayant sans même le montrer. Au simple fait de penser qu'il pourrait être présent dans le moindre recoin sombre d'une rue, les criminels sont effrayés. Quand le Batsignal déchire le ciel, ils le regardent tous avec anxiété. Comme le dit Bruce dans le film "ce n'est pas qu'un signal, c'est un avertissement". Et quand il fait vraiment irruption sur les lieux d'un délit, le chevalier noir le fait telle une ombre émergeant des ténèbres. Dans TB, Batman est brutal, il met les criminels hors d'état de nuire de manière expéditive et violente. A certains moments, il en devient même presque bourrin quand il fonce tête baissée face au danger. Une attitude raccord avec cette version du héros, encore jeune, loin d'être très expérimenté ou même ultra équipé. Un Batman omniprésent dans le film, presque tout le temps dans son costume (environ 85% du film). Rares sont les moments durant lesquels on voit Bruce Wayne et là encore ça fait sens. Pourquoi ? Parce que Bruce Wayne n'existe presque pas dans TB. Le jeune homme y apparaît totalement obsédé et rongé par sa croisade. Toujours sur le fil, instable mentalement, repoussant ses limites physiques quel qu'en soit le prix. C’est presqu’un fantôme qui ne semble reprendre vie que dans son costume quand, chaque nuit, il essaie inlassablement de purger Gotham du mal qui la ronge.

Pattinson, encore une fois, livre ici une prestation habitée. Parfois, rien que par son regard, on ressent ce qu'il ressent. Il arrive à incarner à la perfection un Bruce Wayne au bord de la rupture mais également un Batman sacrément impressionnant. Grâce à un costume réussi (notamment le masque, bien dégagé au niveau des yeux et de la mâchoire, qui aide à retranscrire efficacement le jeu d'acteur) et à ses postures ainsi que sa façon de se déplacer, il apparaît vraiment imposant. La séquence où il pénètre sur la première scène de crime du Riddler, en avançant lentement, pendant que tous les policiers s'écartent sur son passage retranscrit bien le sentiment de menace qu'il inspire à tout le monde. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons un vrai film réussi avec un Batman au premier plan. Dans Batman v Superman et Zack Snyder's Justice League, il partageait l'affiche avec d'autres monuments. Dans The Dark Knight, le Joker lui volait la vedette... comme c'était déjà le cas chez Burton. Ici, Batman est et restera la principale attraction du film. Enfin.

N'allez pas croire pour autant que les autres personnages s’en trouvent effacés, loin de là. Avec en premier lieu une Zoë Kravitz très inspirée dans son interprétation de Catwoman. Séductrice, magnétique, sexy, dangereuse, parfois à fleur de peau. Loin de l'essai fade de Nolan dans The Dark Knight Rises, Catwoman est ici une vraie réussite dont les moments de tensions (aussi bien physiques que sexuelles) avec Batman rappelleront à certains les plus belles heures du Batman Returns de Burton. Certes elle n'est pas encore vraiment Catwoman mais les bases sont là et elles sont plus que solides. Autre très bonne surprise, le James Gordon de Jeffrey Wright. Alors oui, Reeves a casté un acteur noir pour jouer Gordon, certains s’en sont scandalisés. Passons sur cette polémique stérile tant cette version se veut extrêmement réussie. Gordon est ici le seul flic, voire même la seule personne à vouloir travailler avec Batman et c'est sans doute la seule personne à qui Batman fait vraiment confiance. On peut déjà voir les prémisses de ce duo iconique qui s'annonce très prometteur pour la suite. N’oublions pas le Pingouin... et là, il va falloir expliquer qui sont les magiciens derrière le maquillage et les prothèses d'un Colin Farrell totalement méconnaissable. Très charismatique, c'est de lui que viendront les rares traits d'humour du film et, bizarrement, ça fonctionne très bien. Il est dangereux, moqueur, baratineur et campe un caïd du crime tout à fait crédible. Et enfin, il y a le Riddler. Encore une grosse claque niveau interprétation avec un Paul Dano totalement crédible dans son rôle de serial killer aussi malin que détraqué. Bien plus effrayant que les versions comics habituelles, il joue ici un personnage instable, inquiétant, qui va mener Batman et la police par le bout du nez tout en commettant des meurtres particulièrement glauques et macabres.

 

Seven x Batman

Ce qui frappe le plus dans cette nouvelle adaptation de Batman ? L'ambiance, le ton. Nous sommes ici parfois bien plus proches d’un thriller poisseux que d’un film de super-héros, un thriller se déroulant au cœur d'une ville presque déshumanisée dans laquelle Batman et Gordon, un duo d'enquêteurs, vont devoir traquer un serial killer particulièrement retors. De quoi rappeler à nos bons souvenirs l'excellent Seven de David Fincher dont l'ombre plane indiscutablement sur une bonne partie de TB. Une ambiance totalement sublimée par la réalisation de Matt Reeves qui se veut tout simplement énorme. La beauté de certains plans est juste incroyable, la mise en scène est impeccable, les scènes d'action sont aussi lisibles que nerveuses, sans aucun doute l'un des plus beaux films de super-héros jamais réalisé. Pour accompagner tout ça, Michael Giacchino vient greffer sur ces 3 heures une bande-son extrêmement réussie avec un thème principal particulièrement entêtant. Et puisqu'on parle de son, comment ne pas évoquer la Batmobile. Alors que beaucoup semblaient peu convaincus par son nouveau look, à l'écran c'est tout simplement un grand oui et surtout la meilleure introduction pour un véhicule de Batman. Le son strident du moteur qui démarre, le vrombissement sourd, les phares qui s'allument, pour un peu on croirait presque que la voiture est vivante, comme un prédateur prêt à se ruer sur sa proie. Dans un cinéma, avec un bon son, la scène est juste incroyable, aussi bien de manière visuelle que de manière auditive.

Perdu dans cette Gotham corrompue, avec son ambiance sombre presque palpable, Robert Pattinson incarne incontestablement l'une des meilleures versions de Batman jamais vues à l'écran. Dans ces 3 heures de film, pas grand-chose à jeter, peu de faux pas. On regrette surtout un Alfred très en retrait et campé par un Andy Serkis livrant une prestation assez terne et effacée, surtout face à celles de Pattinson, Kravitz et Dano. 3 heures durant lesquelles le spectateur prend grand plaisir à découvrir les énigmes du Riddler, la façon dont Batman va les résoudre et surtout le but de tout ça. A la manière du Joker de Nolan, le Riddler est ici un bad guy qui, avec de mauvaises méthodes, cherche à exposer la vérité sur la corruption qui règne dans les hautes sphères de Gotham. Petit à petit on comprend les ramifications, le fonctionnement de la ville, pourquoi le crime y règne jusqu'aux révélations finales qui impactent tout le monde, y compris Bruce Wayne. A mi-chemin entre le thriller et le film de super-héros, Reeves vise juste et fait de TB un film vraiment à part, qui nous fait voir Batman sous un nouveau jour.

 


Le meilleur film Batman solo ?
La question se pose sérieusement tant le film de Matt Reeves se veut soigné. Sombre, prenant, divertissant, The Batman est une réussite totale à tous les niveaux. C'est bien réalisé, bien écrit, bien joué et accompagné par une bande-son marquante. Et surtout, c'est enfin un vrai film centré sur Batman. Personne ne lui vole la vedette comme chez Burton et Nolan et il n'a pas à partager l'affiche avec d'autres cadors comme chez Snyder. Il résulte de tout ça un film d'une noirceur suffocante et parcouru par tout un tas de personnages aussi hors normes que fascinants. Ce qu'on retient le plus ? Sans doute l'interprétation de Robert Pattinson qui prouve encore une fois qu'il est un grand acteur. Que ce soit dans le rôle d'un Bruce en totale perdition, rongé par sa quête sans fin de justice, ou dans le costume d'un Batman aussi imposant qu'effrayant, il laisse sa marque et prouve qu'il peut rivaliser sans mal avec Bale, Affleck ou Keaton. Alors, qui est le meilleur Batman ? Honnêtement, il n'y a pas de bonne réponse à cette question. Que ce soit The Batman, Batman Returns, The Dark Knight ou Batman v Superman, chaque film propose une vision, un style qui lui est propre. Chaque film nous livre une version différente et intéressante du chevalier noir de Gotham. A vous de décider celle qui vous plaît le plus. Ce qui est sûr, c'est que Matt Reeves a frappé un grand coup avec The Batman et que nous serons nombreux à attendre la suite.

 

 

 

Post publié par Damzé le 25/04/2022 10:46

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