L'histoire de Shenmue [Livre]

2019 est une année particulière pour la saga Shenmue. Après 18 ans d'attente (depuis la sortie du deuxième opus), les fans devraient enfin pouvoir jouer à Shenmue III. Une suite inespérée aux aventures de Ryo Hazuki entamées en 2000 sur la Dreamcast de Sega qui fait l'objet d'à la fois tous les fantasmes et de toutes les critiques. Beaucoup restent circonspects devant tout le remue-ménage provoqué par la licence, "mais qu'est-ce que c'est que ce truc là ? Shenmue ?". Pour tenter de le comprendre ou plutôt de le faire comprendre, deux passionnés ont entamé une folle aventure : écrire un livre sur la saga qui a marqué leur vie à jamais.

Un livre très bien structuré

Quand on veut aborder un sujet de manière efficace, il faut le faire en suivant un plan précis et en décortiquant les différents aspects de ce dernier. C'est exactement ce que font les deux auteurs. Ainsi, le livre est structuré en plusieurs chapitres bien définis qui vont chacun aborder un point bien particulier lié à la saga pour former au final un tout très cohérent. Bien entendu, avant d'attaquer par le jeu lui-même, il faut parler de son créateur. L'histoire de Shenmue commence donc par s'attarder sur le parcours de Yu Suzuki et le replace là où il devrait être, au panthéon du jeu vidéo. Beaucoup de gamers ne le savent pas mais Suzuki est un génie, un créateur visionnaire qui va apporter beaucoup de nouveautés. Premièrement il va permettre à Sega de régner sans partage sur le marché de l'arcade des années 80 avec une série de hits incontournables qui marqueront à jamais l'histoire : Hang On, Space Harrier, Afterburner, Outrun... autant de noms mythiques qui ont marqué toute une époque. C'est également Yu Suzuki qui donnera ses premières lettres de noblesse à la 3D au début des années 90 via la fameuse série de jeux estampillée Virtua avec notamment les cultissimes Virtua Racing ou encore Virtua Fighter… le premier vrai jeu de combat en 3D qui fournira les bases à partir desquelles tous les jeux de baston en trois dimensions se construiront, des bases encore utilisées aujourd'hui.

Que ce soit dans n'importe quel domaine, Yu Suzuki prouve à chaque fois qu'il est un perfectionniste doté d'une vraie vision et assoiffé de nouvelles expériences. Avec tous les succès qu'il a engrangés, avec tout ce qu'il a apporté à Sega, peu étonnant que la firme lui donne le feu vert quand le bonhomme entreprend de créer un RPG. Un projet fou qui donnera naissance à Shenmue. Une mise en bouche très intéressante et exhaustive qui débouchera ensuite sur un chapitre dédié à la naissance de l'idée de Shenmue, qui à la base devait être un RPG basé sur la licence Virtua Fighter, puis sur un autre dédié au long processus de développement des jeux qui commence sur Saturn avant de basculer sur le nouveau projet top secret de Sega. Nom de code ? Katana. Nom définitif : Dreamcast. Les auteurs n'en oublient pas pour autant de parler de Sega. On apprend ainsi pas mal de choses sur l'entreprise, son évolution, sa période de grandeur, sa période de décadence. Ils n'oublient également pas de replacer tout ça dans le contexte de l'époque, ce qui rend la lecture passionnante pour qui s'intéresse vraiment au domaine du jeu vidéo. Les auteurs partent ensuite sur les jeux eux-mêmes et sur ce qu'ils ont apporté, ce qu'ils ont révolutionné, sur l'expérience inédite qu'était Shenmue qui proposait alors une toute nouvelle façon de jouer.

A travers le lancement du premier Shenmue, ce sont les balbutiements des open world modernes auxquels on assiste. Le livre s'attarde sur les différents aspects du gameplay, mêlant combats exigeants inspirés de Virtua Fighter, phases de QTE (spécialement inventées pour le jeu) et exploration libre du monde afin de résoudre des quêtes, mais aussi sur la conception de ce monde au réalisme encore aujourd'hui inégalé. On apprend également pas mal de détails sur l'aspect technique des jeux et leur développement. Ils enchainent ensuite sur une étude des différents personnages de la saga et de ce qu'ils représentent. Amis, ennemis, maîtres, tout y passe, y compris la place des femmes dans la licence. Tout ça au sein d'un chapitre sur le développement intérieur et l'évolution personnelle qui décortique les mécaniques du récit utilisées par Shenmue. Le livre s'attarde ensuite sur le contexte des jeux et ce qu'il nous montre du monde à l'époque où se déroule l’action (l'histoire des jeux Shenmue prend place dans les années 80), ce qui donne sans aucun doute naissance à deux des chapitres les plus captivants du livre.

A travers "Yokosuka comme façonnage du Japon des années 80" et "Exploration de la Chine, une terre de légende", les auteurs nous livrent une analyse passionnante sur l'époque durant laquelle se déroulent les jeux au Japon et en Chine. Le contexte historique, le contexte économique, la culture, la place des arts martiaux, le choc des générations avec l'arrivée d'une ère plus moderne, etc. Une foule d'informations intéressantes qui prouvent que Yu Suzuki est allé extrêmement loin dans ses différentes recherches liées au développement de la saga. Bien entendu, avant de conclure sur leur expérience personnelle avec Shenmue, les auteurs n'oublient pas de parler des différents clins d'œil et apparitions de la licence dans d'autres œuvres ou encore des projets tombés à l'eau comme le fameux Shenmue Online. Ils abordent également brièvement la renaissance de la saga avec notamment le mythique E3 2015 de Sony mais, le livre étant sorti en 2016, Shenmue III y est peu présent.

Un livre sur l'expérience Shenmue plus que sur le développement

Si vous cherchiez une mine d'informations basée spécifiquement sur le développement des deux jeux, le livre pourra vous paraître décevant. Non pas que l'on n'y apprenne rien, bien au contraire ! L’histoire de Shenmue regorge d'infos, notamment sur les défis techniques posés par la saga mais ce n'est clairement pas l'axe principal du livre. Il est bon de signaler que de toute façon, tout ce qui est lié au développement de Shenmue ressemble à un secret des mieux gardés par Sega et les différents acteurs de l'époque. Le tout reste cependant suffisamment exhaustif sur ce point mais ne délivre pas le guide ultime du développement de la licence. L'histoire de Shenmue se focalise sur la saga dans son entièreté : son créateur, sa création, ce qu'elle a apporté au jeu vidéo, son contexte, ce qu'elle nous raconte... tout y est vraiment décortiqué et, que l'on soit fan ou non, il est impossible de ne pas trouver de chapitres intéressants. Tout le monde retiendra forcément quelque chose de sa lecture.

Un livre de grande qualité à la traduction perfectible

Vendu 25 euros et édité par Pix'n Love, L'histoire de Shenmue est un beau livre qui justifie amplement son prix. On regrette un peu la couverture souple légèrement cartonnée (une couverture rigide bien épaisse fait toujours un meilleur effet dans une collection) mais cette dernière se veut magnifique avec ses teintes rouges/ocres, le dojo Hazuki en fond et un dessin de Phénix et de Dragon proche d'un style traditionnel japonais. Concernant le papier, on a le droit à quelque chose d'excellente qualité avec des pages bien épaisses et totalement dépourvues de défauts d'impression. La police utilisée est claire, agréable et sa taille parfaitement adaptée à une lecture confortable. Le livre fait environ 240 pages même si la partie textuelle s'arrête à 200. Mais alors quid des 40 dernières pages me direz-vous ? Hé bien rassurez-vous, ces dernières pages sont un ultime cadeau aux fans : elles regroupent tout un tas de photos prisent au Japon et en Chine dans des lieux présents dans les deux jeux. Un ultime moyen de se rendre compte de la qualité hallucinante avec laquelle la saga a su retranscrire certains endroits ainsi que leurs ambiances tout particulières.

Malheureusement tout n'est pas parfait et ce bilan positif est entaché par une traduction perfectible. Le livre de Ramon Méndez et Carlos Ramirez a été écrit en espagnol à la base et a donc nécessité une traduction. Malheureusement cette dernière n'est pas exempte de défauts. Si on laisse passer les quelques coquilles qui jalonnent le livre (une lettre oubliée, une petite faute), il est en revanche plus difficile de ne pas tiquer devant certaines phrases assez mal tournées. On sent que la traduction n'est pas au niveau, ce qui peut nuire légèrement à la compréhension et au confort de lecture. Heureusement, ça reste rare sur les 200 pages mais il faut quand même le souligner. On pourrait aussi parler de mini déception concernant l’interview de Yu Suzuki présente dans les derniers chapitres. Cette dernière est en effet courte et plutôt avare en informations mais il faut bien comprendre qu’au moment où les auteurs ont sollicité le créateur de Shenmue, ce dernier était en plein boom, démarrant le développement du troisième opus.