Zone Dubitative

Kaamelott [Intégrale]

Quand on prend conscience de la richesse des légendes arthuriennes, on est en droit de se demander pourquoi si peu de séries et de films en ont tiré partie. Pourtant tout est là : des aventures palpitantes, des chevaliers, de la magie, des dragons, de l’amour, des trahisons… Rarement une œuvre a atteint un tel degré de qualité tout en restant variée dans ses thèmes, la candidate parfaite pour une gigantesque fresque d’heroic fantasy. Malheureusement, la plupart des exploitations du cycle arthurien restent de grosses déceptions. Au cinéma tout d’abord, avec les très mauvais Lancelot (avec Richard Gere) et Le roi Arthur (de Fuqua), deux films purgés de tout le côté magique/légende ou encore le totalement nanardesque et décérébré King Arthur de Guy Ritchie. La seule adaptation digne de ce nom reste le cultissime Excalibur de John Boorman qui date quand même de 1981. Du côté des séries télé, encore moins nombreuses que les films, la chaîne Starz (Spartacus) a tenté quelque chose en 2011 avec Camelot, une relecture très intéressante du mythe qui n’a malheureusement pas eu le succès escompté et qui s’est arrêtée après une seule saison. La BBC a proposé un Merlin de bonne facture mais bien trop gentillet pour convaincre à 100%. Bref, hormis un vieux film des années 80, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. C’était sans compter sur un français, Alexandre Astier, qui en 2005 lance sur la chaîne M6 une nouvelle série nommée Kaamelott visant à remplacer le programme court humoristique Caméra Café. Alors que vaut cette adaptation du cycle arthurien ? Alexandre Astier a-t-il les épaules pour manier Excalibur ? Ouvrons une nouvelle fois le grand livre des légendes arthuriennes...

 

C'est parce que je cherche le Graal que je suis roi. Du coup, vous êtes reine. Si je ne cherchais pas le Graal, vous seriez encore en Carmélide en train de torcher le cul des vaches dans une des fermes de votre con de père !

Nous sommes dans le royaume de Kaamelott, à la cour du roi Arthur. Ce dernier n’a qu’un objectif : trouver le Graal. Pour y arriver, il est aidé de son beau-père Léodagan, l’enchanteur Merlin, la mystérieuse Dame du Lac ainsi que des chevaliers de la Table Ronde. Le problème majeur ? C’est bien simple, Arthur est entouré par ce qui est sans doute la plus grosse bande de bras cassés de tous les temps. Aussi ingérables qu’inefficaces, les sujets d’Arthur lui causeront bien des migraines. Nous plongeant directement au cœur du règne d’Arthur, Kaamelott ne prend pas la peine de faire une introduction. Nous allons donc apprendre à connaître les personnages, leurs motivations et leurs caractères au fil du temps via de cours épisodes de 3-4 minutes. L’accent n’est clairement pas mis sur le côté épique ou héroïque des légendes arthuriennes, non, ici nous assistons à une relecture du mythe parfois un peu fantaisiste, certes, mais diablement efficace et drôle. Premier gros point fort de la série, les personnages, avec en premier lieu Arthur, campé par Alexandre Astier lui-même. Un roi bien trop sage et malin pour son propre bien qui essaie tant bien que mal de diriger son royaume en jonglant avec moult problèmes. Des problèmes bien souvent créés par ses propres sujets.

Il faut dire qu’avec un Léodagan (joué par le père d’Alexandre Astier) aussi diplomate qu’un dictateur africain, un Perceval totalement à l’ouest, un Karadoc plus calé sur la charcuterie que sur la chevalerie, un Bohort aussi valeureux qu’une jeune pucelle ou encore un Merlin à peine digne d’un Gérard Majax de fête foraine, Arthur n’est clairement pas sorti de l’auberge. Une des forces de la série, c’est de réussir à faire cohabiter tous ces personnages et de tous les développer. Chacun a une personnalité qui lui est propre, chacun à ses petites marottes et ils sont absolument désopilants grâce à des acteurs tous très bons dans leurs rôles. Si Kaamelott arrive à être aussi drôle, c’est grâce à ses protagonistes hauts en couleur mais aussi grâce à ses dialogues. Et quels dialogues ! C’est bien simple, chaque épisode est un regroupement de punchlines comiques dont des centaines sont déjà devenues cultes. Avec un sens de la formule absolument brillant, Alexandre Astier nous assène des répliques dignes d’un Audiard des grands jours par paquet de douze. En effet, si la série est si marquante, c’est qu’elle abandonne tout le vocabulaire chevaleresque pour faire parler ses personnages de manière plus contemporaine, avec pas mal d’argot.

On imagine à peine le travail monstre qu’a du abattre un Alexandre Astier incroyable de régularité pour atteindre ce résultat. Sur les 4 premières saisons, impossible d’en trouver une mauvaise ou en dessous des autres. Avec un budget serré et un temps d’antenne très court, la série se contente essentiellement de plans fixes en intérieur et en extérieur, n’allez pas croire pour autant que la réalisation est cheap. Comme pour tous les autres aspects de Kaamelott, Alexandre Astier gère le tout de manière impeccable. Le cadrage est millimétré, la gestuelle travaillée, la mise en scène maîtrisée. Suivre les aventures de cette bande de bras cassés devient alors une source intarissable de fou rires, impossible de ne pas retenir par cœur répliques et phrases cultes dont certaines sont presque entrées dans le vocabulaire courant des fans comme les célèbres « c’est pas faux », « le gras c’est la vie » ou encore « on en a gros ! ». Le spectateur se retrouve vraiment face à un travail d’auteur remarquable avec des dialogues ultra travaillés qui font mouche à chaque fois et des scènes parfois rocambolesques, comme celle où les paysans demandent audience à Arthur pour se disputer à propos d’un âne ou celle de Perceval qui essaie d’apprendre à Karadoc et au tavernier local les règles d’un jeu de société de chez lui, alors qu’elles sont totalement incompréhensibles pour le commun des mortels.

 

Si Joseph d'Arimathie n’a pas été trop con, vous pouvez être sûr que le Graal, c'est un bocal à anchois

Nous avons vu plus haut les raisons majeures du succès de Kaamelott mais si la série a autant marché, c’est aussi grâce à sa déconstruction de certains codes. Dans les contes et les légendes, et particulièrement dans le cycle arthurien, les valeurs nobles sont prônées en permanence, les chevaliers sont des modèles de bravoure et de courage, les intentions sont pures. Dans Kaamelott, il n’y a rien de tout ça. Ici les personnages sont faillibles, ils font des erreurs, ils sont parfois fainéants, parfois trouillards, parfois fourbes, quand ce n’est pas les trois à la fois. Au final, ils sont… comme nous. Et c’est cette proximité, cette facilité d’identification, impossible avec les héros légendaires, qui fait que le public accroche énormément et se prend d’affection pour les chevaliers ratés et autres énergumènes qui gravitent autour du roi. Une déconstruction volontaire de la part d’un Alexandre Astier très ambitieux… trop même pour le format dans lequel l’enferme M6. Se sentant rapidement à l’étroit et conscient du fait que les pastilles de trois minutes, avec obligation de débiter des textes comiques, ont leurs limites dans le temps (surtout après 4 saisons), l’interprète du roi Arthur va choisir de négocier avec la chaîne. Il veut en effet passer la série au format long avec des épisodes de 50 minutes. Vu de l’extérieur, on pourrait s’inquiéter de cette envie, après tout si Kaamelott a réussi c’est grâce à son format court, ses échanges rapides. Mais ce serait oublier qu’au fil des saisons, Alexandre Astier a incorporé différentes thématiques dans sa série, notamment concernant Arthur. Les doutes du roi, ses hésitations, son incapacité à trouver le Graal, le fait de ne pas avoir d’héritier… mais aussi les trahisons… Tout cela va prendre forme au cours d’une saison 5 bien plus sombre et mature que les précédentes.

Plus lourde dans son ambiance, extrêmement mélancolique, la série va diviser avec ce nouveau tournant. Certains vont regretter le ton plus léger et le côté très humoristique des premiers épisodes, d’autres seront très heureux d’enfin avoir quelque chose de narrativement bien plus développé et profond. Ils auront raison car si Kaamelott est marquante dans ses moments les plus drôles, elle l’est tout autant dans ses moments les plus tristes. Toujours via des textes d’une justesse extrême et grâce à des acteurs au diapason, Alexandre Astier arrive à nous arracher quelques larmes, notamment via une scène culte dans laquelle le roi dit :

 


« Pour le Graal, j'ai bâti une forteresse moi. Kaamelott ça s'appelle. Et j'ai été chercher des chevaliers dans tout le royaume [il cite les lieux]. J'ai fait construire une grande table pour que les chevaliers s'assoient ensemble. Je l'ai voulu ronde pour qu'aucun d'entre eux ne se retrouve assis dans un angle ou en bout de table. C'était compliqué, alors j'ai essayé d'expliquer ce qu'était le Graal pour que tout le monde comprenne. C'était difficile, alors j'ai essayé de rigoler pour que personne ne s'ennuie... J'ai raté... mais je ne veux pas qu'on dise que je n'ai rien foutu parce que c'est pas vrai. ».



Véritable aveu d’échec, poignante déclaration d’Arthur face à une cour en pleine rébellion, chaque phrase vise juste et touche le spectateur en plein cœur. Et ce n’est pas la seule scène de ce genre dans cette cinquième saison déroutante prenant la forme d’un voyage où Arthur, accompagné du mystérieux Méléagant, va retourner sur les traces de son enfance et partir à la recherche d’éventuels héritiers qu’il aurait pu avoir avec ses maîtresses.

Alexandre Astier conclut son œuvre avec une sixième et dernière saison qui prend la forme d’un gigantesque flashback racontant la jeunesse d’Arthur, son adolescence à Rome, sa rencontre avec César (interprété par un Pierre Mondy absolument grandiose), son premier amour, son accession au trône. Moins sombre et déprimante que la saison 5, cette ultime salve d’épisodes sort le grand jeu. Afin de représenter une ville de Rome crédible, la série va aller tourner dans les mêmes décors que ceux qui ont servi pour l’excellente série Rome de HBO, aux studios Cinecitta en Italie. Le cachet visuel de Kaamelott n’a alors plus grand-chose à envier aux grosses pointures diffusées à la télé. La narration, avec un grand format, en rodage pendant la saison 5, arrive ici à pleine maturité et démontre que Kaamelott a clairement les épaules pour assumer le statut de véritable série. Si le ton est toujours plus sérieux que les 4 premières saisons, les passages comiques ne sont pas en reste et le mélange entre moments drôles et dramatiques est mieux dosé que dans la saison 5. Une des scènes les plus marquantes reste celle où le jeune Arthur rencontre un vieux César usé et désabusé : le face à face est excellent, l’échange entre les comédiens est dantesque et chargé en émotion. La fin de la série, bien que très satisfaisante, met malheureusement les fans dans un état d’attente insoutenable avec son côté « à suivre »… un état qui dure encore aujourd’hui. Toujours plus ambitieux, Alexandre Astier se sentait toujours trop à l’étroit dans le petit écran. Quand on pense aux légendes arthuriennes, on pense également aux côtés épiques et fantastiques. Conscient qu’il n’aurait jamais ça à la télé, le créateur de Kaamelott va alors lorgner du côté du cinéma en annonçant une trilogie de films. Si le projet des films Kaamelott est longtemps resté en sommeil, tout est aujourd’hui à nouveau en ordre de marche. Après avoir réglé quelques soucis au niveau des droits, Alexandre Astier a repris l’écriture des films… Il est grand temps qu’Arthur dégaine à nouveau Excalibur ! [Cette critique a été écrite longtemps avant l'annonce du film d'ou le fait que j'en parle de cette manière]

 


Si vous êtes plus à l'aise avec les notions concrètes, je peux vous proposer mon pied dans les noix !
Kaamelott, c’est sans doute à ce jour l'une des meilleures séries françaises. Maîtrisée de A à Z par son créateur, Alexandre Astier, Kaamelott est un projet qui n’a jamais cessé de se développer, qui ne s’est jamais reposé sur ses lauriers, qui a pris des risques. Là où certains auraient continué à fournir des pastilles de trois minutes jusqu’à l’essorage complet du concept, Alexandre Astier a osé changer sa recette en cours de route, quitte à perdre des fans pendant l’opération. Comportant moins de moments drôles mais proposant en contrepartie beaucoup plus de scènes absolument bouleversantes d’émotions, les saisons 5 et 6 restent des réussites malgré quelques errements peu préjudiciables à la qualité de l’ensemble. Avec ses dialogues cultes frôlant en permanence la perfection, ses acteurs époustouflants de justesse, ses thématiques bien plus profondes qu’il n’y parait, Kaamelott s’impose comme une œuvre intelligente, complète, drôle et émouvante qui ne prend jamais le téléspectateur pour un idiot. On pourrait pester sur le fait que la série ne suit pas le mythe du roi Arthur à la lettre (non, Excalibur n’a jamais été l’épée plantée dans la roche contrairement à la croyance populaire, elle fut donnée à Arthur par la Dame du Lac en personne) ou dire que la saison 5 a un petit souci de rythme, mais le travail d’adaptation reste réussi et ce serait vraiment chercher la petite bête. Cette série devrait tout simplement être remboursée par la sécu tellement elle donne le sourire.

 

 

Post publié par Damzé le 27/07/2021 09:26

Commentaires