Zone Dubitative

Ghost of Tsushima [PS4]

Comme Naughty Dog et bien d’autres, Sucker Punch est un studio historiquement lié à Sony et cela fait des années qu’ils développent sur PlayStation. Cependant, s’ils ont fait de bons jeux, le succès de ces derniers, aussi bien critique que commercial, n’a jamais été à la hauteur de celui d’un The Last of Us ou d’un God of War. Sly et Infamous, les deux licences qui ont fait connaître Sucker Punch, ne sont pas entrées dans l’histoire de la PlayStation avec un grand H. Mais sur cette génération, la PlayStation 4 semble inarrêtable en termes d’exclusivités… Même des studios que l'on n’attendait pas forcément arrivent à surprendre (comme Guerrilla avec son Horizon Zero Dawn par exemple). En dégainant une toute nouvelle licence, Ghost of Tsushima, Sucker Punch entend bien montrer que lui aussi est capable de produire une exclusivité majeure et reconnue qui fait l’unanimité. Pari réussi ?

 

Samurai – Ninja Simulator

Ghost of Tsushima vous met dans la peau de Jin Sakai, un samouraï qui va devoir faire face aux invasions mongoles qui ont frappé le Japon au XIIIe siècle. Dans ses premières heures, le jeu va se transformer pour beaucoup de joueurs en simulateur ultime de samouraï. Il faut bien avouer que, assez bizarrement d’ailleurs, le cadre d’un Japon féodal peuplé de ces emblématiques guerriers restent étrangement sous-utilisé dans le domaine du jeu vidéo. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que l’on prend part aux premiers combats. Le gameplay de Ghost of Tsushima (que l’on va abréger par GoT) est clairement l’un de ses points forts. Les combats au sabre sont rapides, précis et bien mis en scène via des animations impeccables. Dans le mode de difficulté maximal, on retrouve bien toute la tension d’un vrai duel à l’arme blanche dans lequel juste un ou deux coups peuvent êtres fatals. Une touche pour l’attaque rapide, une pour l’attaque lourde (plus lente mais qui casse la garde), une touche pour l’esquive et une pour la garde qui, utilisée au dernier moment, produit un contre. Simple et efficace. Un peu déroutant en début de partie, le gameplay devient cependant réellement addictif une fois maîtrisé. Le ciblage automatique a parfois quelques ratés mais rien de suffisant pour gâcher le plaisir de jeu. Assez rapidement, GoT va rajouter plusieurs couches à son gameplay et le simulateur de samouraï jouissif du début va évoluer vers quelque chose de plus varié. Jin va ainsi acquérir des arcs, ce qui va lui permettre d’attaquer à distance mais aussi et surtout une toute autre voie que celle du samouraï va s’ouvrir à lui : celle du fantôme. La possibilité de faire des assassinats discrets sur les ennemis à la Tenchu, couplé à un attirail digne d’un ninja (bombes fumigène, kunais, fléchettes empoisonnées, etc.) vont transformer Jin en un véritable assassin d’une redoutable efficacité.

Le meilleur dans tout ça ? C’est que le jeu laisse les clés aux joueurs. Vous voulez la jouer samouraï, attaquer vos adversaires de face, ok. Vous voulez devenir l’assassin ultime, celui que les adversaires ne perçoivent jamais avant qu’il ne soit trop tard, ça marche aussi. Hormis quelques passages scriptés, GoT laisse le joueur libre de choisir son style de jeu. Et plus on progresse, plus les possibilités s’élargissent. Jin peut défier des adversaires, les provoquer. Il se fait ainsi repérer mais cela donne au joueur, s’il réussit à dégainer son sabre au bon moment, la possibilité de tuer plusieurs ennemis en quelques secondes. Vous pouvez aussi attirer un groupe en lançant un leurre puis arriver dans leur dos pour leur trancher la gorge sans que personne ne le remarque. Au fil du temps, Jin va gagner des points d’expérience que l’on pourra répartir majoritairement dans deux branches, celle du samouraï et celle du fantôme. Celle du samouraï augmentera les capacités liées au combat. Vous aurez le choix entre plusieurs postures sabre en main, chacune étant dédiée à affronter un style d’adversaire particulier (ceux qui ont un bouclier, ceux qui ont une lance, etc.), que vous pourrez améliorer. Celle du fantôme boostera les capacités d’assassinat et élargira l’éventail d’armes spéciales. Lancer un kunai sur un ennemi le déstabilisera en cassant sa garde, en améliorant cette arme vous pourrez en lancer plusieurs au lieu d’un et en augmenter les dégâts. Ce système fait que régulièrement, en progressant dans le jeu, le joueur voit son panel de possibilités sans cesse s’élargir. Le gameplay évolue constamment en ajoutant régulièrement quelques petites touches ça et là, ce qui donne une très agréable sensation de montée en puissance.

Il est bon de noter que si les possibilités sont variées en termes de gameplay, elles le sont aussi en termes d’équipement. Au fil du jeu, Jin entrera en possession de plusieurs armures et chacune d’entre elles, outre un aspect visuel extrêmement réussi, offrira des statistiques différentes. L’armure du samouraï de clan booste la barre de vie et diminue les dégâts encaissés alors que celle du ronin booste les dégâts au sabre et vous rend plus difficile à repérer. Vous n’aurez en revanche qu’un seul katana, votre seule et unique arme blanche du début à la fin du jeu mais il sera customisable via d’innombrables skins toutes plus magnifiques les unes que les autres et trouvables un peu partout. Les possibilités pour customiser Jin visuellement sont donc très agréablement fournies et le joueur pourra même changer les teintes, mélanger les styles, etc. Il y a également un système de charmes (pas pour aguicher, nous parlons ici des charmes utilisés dans les temples…) qui permettront, une fois équipés, de donner certains bonus particuliers. Bien entendu, armures et armes peuvent êtres améliorées via des ressources que l’on devra récupérer en fouillant les décors.

Au final, la seule vraie ombre au tableau reste l’IA des adversaires. Si dans le cadre des combats normaux, il n’y a rien de spécial à signaler, ce n’est clairement plus le cas quand on aborde l’aspect furtivité du jeu. Clairement, jouer en mode fantôme, assassiner dans le dos, etc. devient rapidement bien trop facile. La plupart des adversaires étant statiques et ne faisant pas de ronde, ils deviennent alors juste des cible inertes. Le plaisir de faire un assassinat discret prend du coup un peu de plomb dans l’aile étant donné que tuer les ennemis de cette manière est souvent d’une facilité déconcertante. Seuls les archers, souvent placés en hauteur, poseront réellement des problèmes aux joueurs en termes de détection. C’est un peu dommage surtout vers la fin du jeu où se débarrasser d’une dizaine d’adversaires en quelques secondes sera un jeu d’enfant. Malgré cela, manette en main, GoT est absolument jouissif mais le jeu n’est pas qu’une expérience réussie en termes de gameplay, ce n’est pas qu’un jeu de samouraï/ninja, c’est également un open world captivant.

 

Plaisirs d’orient

GoT n’est pas le jeu le plus beau de la génération, d’ailleurs le rendu à l’écran est très dépendant de l’éclairage de la scène. De jour, en plein soleil, certaines textures pourront sembler moyennes voire un peu baveuses et le rendu un poil terne. Mais sous une météo orageuse, un lever/coucher de soleil ou un clair de lune, GoT se transforme et devient une véritable merveille visuelle. Inutile de dire que les amateurs de screenshots vont mitrailler la touche share. Cerise sur le gâteau ? Le jeu propose un mode photo très poussé qui permet de virer tout parasitage à l’écran, de changer l’éclairage, le teint, la météo, le vent, de rajouter des feuilles qui volent, etc. De la véritable pornographie pour les amateurs de beaux paysages qui passeront sûrement des heures entières dessus.

Il faut bien avouer que GoT est diablement dépaysant. Monter sur une colline au levé du soleil et regarder en contrebas un village… observer les vapeurs des sources chaudes, les herbes qui s’inclinent au grès du vent, les feuilles qui se détachent des arbres… s’approcher d’un temple entouré de statues imposantes… autant de petits plaisirs simples mais tellement enivrants. Pour ceux qui aiment ce genre d’ambiance, le jeu est absolument hypnotique. Les développeurs se sont clairement inspirés de plusieurs œuvres japonaises mais aussi du cinéma, notamment celui d’Akira Kurosawa. Il en résulte alors une atmosphère absolument incroyable. Nous sommes vraiment au Japon, au XIIIe siècle. Bien sûr le visuel est embelli, fantasmé mais il finit de rendre l’expérience prenante. Il faut dire que le souci du détail a été poussé assez loin puisqu’après un combat, on peut par exemple égoutter la lame de son sabre avec classe afin d’enlever le sang qui la souille. On peut s’incliner, notamment face à un mort, Jin lâchera alors une petite phrase afin de l’honorer. On peut également jouer de la flûte traditionnelle (avec la possibilité de faire changer la météo). De petits détails certes mais qui renforcent encore plus l’immersion.

Très variée dans ses décors, l’île de Tsushima est un bonheur à explorer. Les développeurs ont clairement mis en avant l’aspect exploration et surtout, ils l’ont fait d’une manière tout à fait naturelle et sans HUD envahissant. Les gros marqueurs de quêtes qui clignotent ? Les chemins lumineux ? Oubliez tout ça. Dans GoT, si vous êtes perdu, il suffit de suivre la direction du vent qui soufflera toujours vers l’endroit où vous avez positionné un marqueur. Et pour découvrir les secrets de l’île, point besoin de scruter la map. Des oiseaux vous guideront jusqu’à des points d’intérêt. Si vous croisez un renard, n’hésitez pas à le suivre puisqu’il vous conduira à un sanctuaire. De grandes portes en bois qui jalonnent une route ? Suivez-les et elles vont mèneront à un temple. Grâce à ce genre d’astuces, GoT, en plus de proposer de l’action, propose également une exploration jouissive et gratifiante. Souvent, en partant pour faire une quête, le joueur finira bien loin de l’endroit où il voulait aller juste parce qu’il a exploré. Rarement un open world n’aura été aussi beau et agréable à parcourir.

 

La crainte du modèle "assassin’s creedesque" » ?

Comme beaucoup de joueurs, quand j’ai regardé le State of Play dédié à GoT, j’ai tout de suite eu une crainte. Le jeu ne va-t-il pas être trop répétitif dans sa structure ? Il faut bien avouer que de loin, la recette ressemble un peu à celle de la licence culte d’Ubisoft… avec les défauts qu’on lui connaît. Alors le jeu est-il répétitif sur la durée ? Un poil oui mais c’est inhérent au genre. Cependant, son monde (aussi bien visuellement qu’en termes de structure) est infiniment mieux construit que ceux des derniers AC. Plutôt que de proposer une map gigantesque où tout finit par devenir redondant et où l’on passe son temps à se téléporter de points d’intérêt en points d’intérêt, GoT propose une map bien plus petite mais autrement plus agréable à parcourir et où les découvertes se font de manière naturelle, sortant le joueur des mécaniques artificielles habituellement trop souvent présentes dans les open world. Concernant les activités, l’attaque de camps mongoles est très majoritairement représentée mais entre le gameplay et les capacités du héros qui évoluent et s’étoffent et les camps qui deviennent de plus en plus peuplés, la challenge reste intéressant et la lassitude est rompue par le plaisir de juste parcourir le jeu et d’en découvrir tous les lieux cachés. A noter que, régulièrement, le joueur pourra croiser des mongoles s’en prenant à des habitants et pourra les libérer. On aurait aimé un peu plus de ce genre d’événements aléatoires et qu’ils soient plus variés car en l’état on reste à des années lumières de l’excellence de Red Dead Redemption II en la matière. On se consolera quand même avec les quêtes annexes présentes en bonne quantité, plutôt bien écrites et au dénouement quelquefois surprenant mais aussi avec certains récits. Parfois, vous entendrez parler d’une légende, un guerrier à la technique exceptionnelle, une armure maudite… et s’il y avait un fond de vérité ? Très inventifs et rafraîchissants, les récits sont clairement l’un des points forts de GoT et le jeu en vaut vraiment la chandelle en termes de récompense.

Autre crainte justifiée, le scénario. Il faut bien l’avouer, que ce soit avec Sly ou Infamous, les gens de chez Sucker Punch n’ont jamais vraiment réussi à nous raconter une histoire mémorable. Le scénario de GoT ne vous surprendra pas, il n’y a pas de gros twists incroyables et il reste simple. Simple mais pas simpliste pour autant. Sans être aussi marquante qu’on l’aurait souhaité, l’histoire de Jin Sakai reste quand même suffisamment intéressante et bien racontée pour que le joueur ait envie d’en connaître la fin. De plus certaines problématiques abordées sont très intéressantes notamment celles liées à l’honneur. Jin, en devenant le fantôme, sauve son peuple mais est-il encore un samouraï ? Doit-on sacrifier son code de l’honneur si c’est pour sauver des vies ? Un questionnement intéressant. Il est bon de noter que le jeu propose aussi parfois certains moments réellement touchants, voire poétiques, particulièrement réussis.

 


L’honneur ou le déshonneur ne sont pas dans l’épée mais dans la main qui l’a brandie
Très attendu par beaucoup de joueurs, en particulier ceux qui apprécient le japon féodal et le chanbara, Ghost of Tsushima ne déçoit pas. Utilisant à merveille son cadre et son contexte, il propose un open world sublime qui, couplé à une gestion de l’exploration novatrice, transforme le moindre petit trajet en véritable plaisir de tous les instants. Doté d’un gameplay très réussi, de décors variés, d’une direction artistique de haut vol, de musiques enivrantes et d’une solide durée de vie (comptez plus de 30 heures pour tout faire), Ghost of Tsushima immerge totalement le joueur dans son univers (encore plus si on y joue en japonais sous-titré) et s’impose indéniablement comme une exclusivité majeure de la PS4 et surtout comme le meilleur jeu de Sucker Punch à ce jour. Le résultat n’est pas dans défauts, certains aspects techniques pêchent un peu, l’IA pour tout ce qui est lié à la furtivité n’est clairement pas au niveau et le jeu pourra paraître un poil répétitif sur la durée mais au final l’expérience est tellement marquante que tout ça ne pèse pas bien lourd dans la balance. Ghost of Tsushima est LE jeu de samouraï ultime dont beaucoup rêvaient, cerise sur le gâteau : une grosse pincée de jeu de ninja a été saupoudrée sur tout ça et les deux aspects se marient extrêmement bien.

Ghost of Tsushima c’est la tension palpable de duels au katana savamment mis en scène, c’est la froideur d’une lame tranchant la gorge d’un ennemi sous un clair de lune et c’est également le plaisir de s’arrêter au milieu d’un champ de fleur ou à l’orée d’un bois pour tout simplement en admirer la beauté. Un bien belle manière de clôturer l’ère PS4 !

 

 

Post publié par Damzé le 11/08/2020 10:49

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