Zone Dubitative

Bioware à la croisée des chemins, grandeur et décadence.

Drew Karpyshyn : ça s’en va et ça revient.
 
C’est une news qui est un peu passée inaperçue. Il y a quelques jours, on nous annonçait que le lead writer (=responsable de l’écriture du scénario, des personnages etc) du jeu Anthem quittait Bioware.
Son nom ? Drew Karpyshyn. Pour ceux qui ne connaissent pas le bonhomme, il est scénariste et écrivain. C’est à lui que l’on doit les débuts de Mass Effect (le 1 et le 2), il a aussi travaillé sur Jade Empire, Star Wars : Knight of the Old Republic et également sur les cultissimes Baldur’s Gate 2 et Neverwinter Nights. Niveau littérature, on lui doit la trilogie sur Dark Bane ou encore les romans Revan et Annihilation dans la collection The Old Republic pour ce qui concerne l’univers Star Wars. Il a également écrit des romans sur Mass Effect ou encore sur Les royaumes oubliés de l’univers Donjons et Dragons. Inutile de dire qu’avec un tel CV, la réputation du monsieur n’est plus à faire.
 
Ce n’est pas la première fois que l’ami Drew quitte Bioware. Il était déjà parti en 2012 en précisant qu’il avait d’autres projets et qu’il était temps pour lui de changer d’air. Il est pourtant revenu en 2015 pour travailler sur la partie scénaristique du MMO Star Wars : The Old Republic qui était alors un peu à la peine. L’arrivée de Drew a revitalisé le jeu et de nombreuses extensions sont sorties avec un aspect narratif bien plus poussé que dans le jeu de base. Et enfin, il s’est mis à travailler sur Anthem.
Et là, patatras ! Le 12 Mars, on apprend que l’ami Drew quitte encore le navire. Les raisons ? Il a d’autres projets et il est temps pour lui de changer d’air… ça ne vous rappelle rien ? Si hein et c’est so 2012. Evidemment le boss de Bioware (Casey Hudson) a immédiatement minimisé la chose en précisant qu’il ne fallait pas paniquer. Selon lui, Drew Karpyshyn avait terminé son travail d’écriture sur le jeu et les autres lead writers vont continuer de développer l’histoire, les personnages et l’univers. Une déclaration un peu étrange puisqu’il est plutôt rare qu’un lead writer se barre d’un projet avant sa fin. Alors pourquoi jouer au pompier aussi rapidement ? Et bien peut-être tout simplement parce que Bioware va mal. Casey Hudson s’est empressé de dire que Anthem serait un jeu « story driven » et que c’était leur marque de fabrique de faire des jeux avec un aspect narratif très poussé. L’intention est louable… mais est-ce bien encore vrai ?
 
 
Père Bioware, raconte-nous une histoire !
 
Depuis combien de temps Bioware n’a pas sorti un jeu bien scénarisé ? Et bien depuis 2012 et Mass Effect 3. 2012… tient, ça me rappelle quelque chose… Ah oui, le départ de Drew Karpyshyn. D’ailleurs Mass Effect 3, sur lequel Drew n’a pas travaillé, est clairement le moins bien scénarisé de la trilogie mais qu’importe. A cette époque, Bioware est encore le roi du RPG narratif. Le problème, c’est que les choses vont vite se gâter. Premier faux pas, Dragon Age Inquisition. Après un premier volet excellent (Origins) et une suite très décevante (Dragon Age 2), Bioware dégaine Inquisition.  Sans être une daube, le jeu surprend les fans dans le mauvais sens du terme. Structure typée MMO avec des tonnes de quêtes Fedex insipides, des quêtes principales bien moins nombreuses et beaucoup moins bien scénarisées, une galerie de personnages qui souffle le chaud et le froid et surtout beaucoup moins de choix qu’avant et peu de conséquences liées à ces derniers. Les ventes sont là, le jeu est un gouffre à temps libre qui plait à une partie du public mais beaucoup de fans de la première heure se sentent trahis.
 
Cependant un autre souci va vite pointer le bout de son nez, son nom : The Witcher 3. Avec la conclusion épique de leur trilogie sur le sorceleur, les polonais de CD Projekt ont frappé fort, très fort. Tellement fort que les standards des RPG narratifs se retrouvent ringardisés par le jeu de CD Projekt. The Witcher 3 est un open world sublime et cohérent. Son scénario et sa narration sont travaillés à l’extrême et surtout ses quêtes annexes ont bénéficié d’un soin d’écriture tout particulier. Pour la première fois, les joueurs sont face à un open world capable de raconter une histoire très structurée et bien écrite tout en proposant moult activités annexes et une multitude de quêtes secondaires très intéressantes. Les jeux comme DA Inquisition se retrouvent ridiculisés et se prennent un méchant coup de vieux. La concurrence se sent poussée vers l’avant, les RPG doivent évoluer. Divinity Original Sin 2, Pillars of Eternity, Kingdom Come Deliverance, les prochains RPG à succès proposeront tous un fort aspect narratif, un monde cohérent et des contenus annexes travaillés à 1000 lieux des standards des MMO.
 
 
Ground control to major Hudson.
 
Chez Bioware, c’est la crise. Le développement de Mass Effect Andromeda s’éternise. De nombreuses personnes importantes quittent le navire en plein milieu du projet. Il y a de forts désaccords créatifs et le jeu se retrouve repoussé. La pression est énorme, la licence Mass Effect a marqué toute une génération et l’attente des fans est immense. Une attente et des espoirs revus à la hausse car la concurrence a élevé son niveau et tout le monde s’attend à ce que Bioware face de même. La suite vous la connaissez. Mass Effect Andromeda est un fail retentissant. Sans être mauvais, le jeu déçoit presque à tous les niveaux. La technique est défaillante, le scénario et la narration sont aux fraises et la majeure partie du contenu est trop typée MMO. Bioware a réutilisé la même recette que pour Dragon Age Inquisition sauf qu’entre temps le troisième opus de Dragon Age s’est fait ringardisé. Les amateurs de RPG veulent des jeux plus travaillés et pas seulement des gouffres à temps libre remplis de quêtes Fedex. Les ventes sont très décevantes, les notes sont très moyennes et Bioware, sans doute avec la grosse main d’EA posée sur son épaule, décide de ranger la saga au placard. Les projets de DLC solo sont immédiatement abandonnés, le studio derrière le jeu se fait dynamiter et seule la partie multijoueur du titre continuera à bénéficier de mise à jour. De licence phare du studio, Mass Effect se retrouve en passe de devenir son plus gros échec.
 
Et nous voici en 2018. Anthem est le prochain gros jeu de Bioware. Drew Karpyshyn s’est barré avant la fin du projet et le jeu a été repoussé… ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Ah oui ! Mass Effect Andromeda. Des départs, des dates repoussées et un développement qui semble houleux. La question que tout le monde commence à se poser est la suivante : est-ce que Anthem prend le même chemin qu’Andromeda ?
Les voyants ne sont plus au vert. Les déclarations de Casey Hudson qui demande aux fans de croire en Anthem, de croire que ce sera un bon jeu avec un fort aspect narratif sonnent un peu comme une supplication. Si de bons jeux solos continus de sortir, certaines boites comme Ubisoft ont décidé de mettre de côté la narration pour se concentrer du « Game as a service ». The Division, The Crew, Ghost Recon Wildlands… autant de jeux dont le scénario tient sur un timbre poste et ou le travail d’écriture sur les personnages est quasi inexistant. Même Assassin’s Creed Origins qui a redoré le blason de la licence propose là encore un scénario et une narration quasi inexistants. Est-ce que Bioware hésite entre ces 2 tendances ? Vu les premières vidéos, Anthem a tout du jeu qui se joue avec 2 ou 3 potes sur une map immense remplie d’objectifs bien plus proche du style The Division/Ghost Recon que d’un The Witcher 3 ou d’un ancien Mass Effect.
 
 
Incertain, le futur est...
 
Que sera vraiment Anthem ? Seul l’avenir nous le dira mais une chose est sure, le jeu sera peut-être le plus important de l’histoire de Bioware. A la croisée des chemins, le studio ne peut pas se permettre un autre échec de grande envergure sans en payer les conséquences. L’avenir de la boite qui nous a régalé avec Star Wars KOTOR, la trilogie Mass Effect et Dragon Age Origins se jouera en partie autour du succès d’Anthem. Et le fait de savoir que Drew Karpyshyn est parti et que le jeu est repoussé ne donne pas vraiment confiance dans le projet. Il ne reste plus qu’à espérer que Bioware se ressaisisse sinon il est fort probable qu’EA commence à trancher dans le lard… et quand EA sort sa faux, on sait comment ça se termine. Personne n’a envie de voir Bioware finir comme les nombreux studios rachetés par EA et qui ont terminé enterrés dans le jardin de ce dernier après avoir pris un bon gros coup de pelle sur le coin de la tronche.
 
 
Post publié par Damzé le 23/03/2018 06:58

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